top of page

CRÉATION D'ALCYONE

  • Photo du rédacteur: Louise de Gastines
    Louise de Gastines
  • 21 nov. 2024
  • 13 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 mai

Je dévoile ici la genèse de cette réalisation. Mon inspiration, mon processus créatif et les récits antiques qui m'ont orienter !


Chimère d'une femme/martin-pêcheur issue de la série SEPT SŒURS dans laquelle j'entreprends de réaliser un portrait psycho-magique symbolique en volume de chacun de ces personnages féminins mythiques.




VIDÉO sur la genèse du projet d'Alcyone - Sculpture en céramique de Louise de Gastines

Dans la mythologie grecque, Alcyone est la benjamine des sept sœurs/étoiles de la constellation des Pléiades.


Symbole de la tragédie amoureuse et du cycle vie/mort/vie, elle a au cours de sa vie, une liaison avec Poséidon et avec un mortel nommé Céyx.


Follement éprise de son mari mortel, elle apprend une nuit dans ses songes qu'il est mort dans un naufrage. Plongée dans le plus profond désespoir, elle aperçoit le corps de son aimé ramené par les vagues sur la berge le lendemain matin. Lors de sa course folle pour le rejoindre elle ne se rend pas compte de la métamorphose qui s'opère en elle. Pourtant, les Dieux miséricordieux ont décidé de transformer le couple en alcyons (martin-pêcheur) pour leur permettre de poursuivre leur idylle sur les flots.



VIDÉO du modelage d'Alcyone - Sculpture sur terre de Louise de Gastines.


Pour la création d'Alcyone je me suis inspirée du récit de son existence contée dans Les Métamorphoses d'Ovide. Long poème latin, dont la composition débute probablement en l'an 1. sur le thème des métamorphoses issus de la mythologie grecque et de la mythologie romaine.



 LIVRE ONZIÈME


VIII. Naufrage et mort de Céyx ; description du palais du Sommeil ; métamorphose de Céyx et d’Alcyone en alcyons.


VIII. Cependant, troublé du sort de son frère et de ce nouveau prodige, Céyx, cédant à un penchant commun à tous les mortels, veut consulter le sort, et s’apprête à visiter l’oracle de Claros ; car l’impie Phorbas, avec ses Phlégyens, ferme aux voyageurs l’accès du temple de Delphes. Il fait part de son projet à la fidèle Alcyone ; elle pâlit ; un froid mortel court dans ses veines, et ses joues se mouillent de larmes. Trois fois elle veut parler, trois fois sa voix est arrêtée par ses pleurs ; enfin, elle laisse échapper ces paroles à travers ses sanglots : « Qu’ai-je donc fait, cher époux, pour changer ainsi ton cœur ? Qu’est devenu ton amour d’autrefois ? Déjà tu peux supporter la pensée de quitter ton Alcyone, tu songes à de lointains voyages, tu m’aimes mieux absente. Au moins, prends la route de terre : ma douleur sera la même, mais je ne craindrai pas pour tes jours, et j’aurai des chagrins sans terreurs. La mer m’épouvante, et je frémis à la pensée des écueils et des tempêtes. L’autre jour, sur la grève, j’ai vu les débris d’un naufrage, et souvent, sur de tristes cénotaphes, j’ai lu les noms d’imprudents nautoniers. Ne mets pas dans ton sang une vaine confiance ; ton beau-père Éole sait contenir dans ses prisons les vents impétueux, et il peut à son gré apaiser les vagues émues ; mais, une fois déchaînés, les vents n’épargnent plus rien ; il n’y a pas de terre, il n’y a pas de mer qui puisse échapper à leur fureur ; le ciel lui-même n’est pas à l’abri, et leur horrible choc fait jaillir la flamme des nues. Plus je les connais (et je les connais bien, car souvent, jeune encore, je les ai vus dans la maison paternelle), plus je les connais, plus je les crains. Cher époux ! si ta résolution est inébranlable, si mes larmes, si mes prières ne peuvent te persuader, au moins, emmène-moi. Je ne craindrai pour toi aucun danger que je ne partage ; toutes les vicissitudes nous seront communes, et nous serons portés ensemble sur la vaste étendue des mers. »
Ces prières, ces larmes de la fille d’Éole ont touché son époux : il n’aime pas moins qu’il n’est aimé. Il ne veut ni renoncer à son projet ni faire partager ses dangers à son Alcyone ; il lui dit tout ce qu’il croit capable de rassurer son cœur alarmé, rien ne peut la consoler ; enfin, il lui fait cette promesse, qui seule calme la douleur d’une amante : « Oui, toute absence est trop longue pour moi ; mais je te le jure par l’astre paternel, si les destins me le permettent, je serai de retour avant que deux fois la lune ait arrondi son croissant. » Cette promesse fait rentrer l’espoir dans le cœur d’Alcyone. Aussitôt on lance un vaisseau à la mer ; on l’arme de ses agrès. Alcyone frémit à cette vue ; ses yeux se remplissent de larmes, elle embrasse son époux, et lui dit un douloureux adieu ; son corps s’affaisse, elle tombe évanouie.
Cependant Céyx, impatient, donne le signal du départ. Les matelots, placés sur deux rangs, ramènent leur double rame contre leur forte poitrine, et, à coups égaux, fendent les vagues. Elle lève ses yeux humides de pleurs, et aperçoit, debout sur la poupe recourbée, son époux, qui, de ses mains, lui envoie un muet adieu ; elle répond à ces signes. Déjà le vaisseau s’éloigne, et le rivage a paru reculer ; les yeux d’Alcyone ne pouvant plus distinguer les traits de son époux, suivent encore le vaisseau qui fuit, et, lorsqu’il leur échappe, ils s’attachent à la voile qui flotte au sommet du mât. La toile a disparu ; Alcyone va regagner sa couche solitaire : cette couche, cette chambre nuptiale ravivent sa douleur, et lui rappellent un époux absent.
Le vaisseau avait quitté le port, et le vent agitait les cordages ; les matelots attachent la rame oisive aux flancs du navire, élèvent les antennes au sommet du mât, et déploient au vent toutes les voiles, qui se gonflent. Déjà un espace égal séparait Céyx et du port de Trachine et du but de son voyage, quand, aux approches de la nuit, la mer commence à blanchir, et l’Eurus à souffler. « Pliez les antennes ! s’est écrié le pilote ; attachez les voiles au mât ! » Il dit ; le bruit des vents, le fracas des vagues ont couvert sa voix. D’eux-mêmes, cependant, quelques-uns se hâtent de retirer les rames, d’autres bouchent les fentes du vaisseau ou détendent les voiles ; celui-ci pompe l’eau qui pénètre, et rejette les flots dans les flots; celui-là arrache les antennes. Pendant que toutes ces manœuvres s’exécutent en désordre la tempête redouble de furie ; de tous côtés les vents déchaînés se livrent d’horribles combats, et soulèvent l’onde irritée. Le pilote lui-même a pâli ; il ne sait ni où il est, ni ce qu’il doit faire, tant le péril est grand, tant il surpasse son art ! Les cris des matelots, le grincement des cordages, le bruit des vagues entrechoquées, le fracas du tonnerre, tout se mêle. La mer, qui s’élève, semble atteindre les cieux et pousser son écume jusqu’aux nues ; tantôt elle se teint des couleurs de la jaune arène qu’elle soulève, tantôt elle est plus noire que l’onde du Styx ; par moment elle semble se calmer, et se couvre d’une blanche écume. Le vaisseau, ballotté, suit tous ces mouvements ; tantôt, porté au sommet des vagues, il semble, du haut d’une montagne, dominer des vallées et regarder à ses pieds les noirs abîmes de l’Achéron ; tantôt il s’abaisse, les flots creusés l’enveloppent, et il semble regarder le ciel du fond du gouffre des enfers ; souvent ses flancs, frappés par les flots, résonnent avec fracas : tel un mur que bat le bélier de fer ou la puissante baliste. Et comme, ajoutant à sa force par ses impétueux élans, un lion furieux s’élance, la poitrine en avant, contre les dards qu’on lui oppose, ainsi, lancée par les efforts réunis des vents, la vague se rue sur les agrès du navire, et les dépasse. Déjà craquent les jointures ; déjà se détache le bitume qui unissait les poutres, et l’eau s’élance par les ouvertures ; les nues se fondent en torrents pressés ; on dirait que le ciel s’abaisse sur la mer, et que la mer gonflée s’élève pour attaquer le ciel ; la pluie trempe les voiles, et les eaux de la mer se mêlent à l’eau des nuages. L’éther est sans étoiles, et aux ténèbres de la nuit se joignent les ténèbres de la tempête ; seulement, la foudre les dissipe par moments, et éclaire les eaux d’une lumière menaçante.
Déjà le flot s’est ouvert un passage entre les parois disjointes de la carène. Lorsqu’une troupe nombreuse de soldats, après plusieurs assauts, s’empare enfin d’une ville bien défendue, de tant de milliers d’hommes qu’excite l’amour de la gloire, un seul s’élance le premier sur les murs ; ainsi, après que, neuf fois, d’énormes vagues ont battu les flancs élevés du navire, plus immense encore, une dixième s’élance, fracasse la carène fatiguée, et s’abat dans le vaisseau comme l’ennemi dans une ville prise ; au-dedans sont les flots, au-dehors les flots se cherchent un passage. Les matelots tremblent comme tremblent les assiégés, quand, au-dehors, l’ennemi bat les murs, et qu’au-dedans il s’en est emparé. L’art du pilote est en défaut, les esprits sont découragés, et il semble que chaque flot qui pénètre soit une mort nouvelle : l’un ne peut retenir ses larmes, l’autre est plongé dans une douleur stupide ; celui-ci envie le sort de ceux qui auront un bûcher, celui-là adore les dieux, les appelle à son aide, et lève en vain ses bras au ciel, qu’il ne voit pas ; un autre se rappelle et son frère et son père, et sa maison et ses enfants, et tout ce qu’il a quitté. Céyx ne pense qu’à son Alcyone, ne parle que de son Alcyone, ne regrette qu’elle seule, et cependant se réjouit de la savoir absente ; il voudrait se tourner encore une fois du côté de sa patrie, et jeter un dernier regard vers son palais ; mais il ne sait où il est, tant est grande l’agitation des ondes, tant les nues couvrent le ciel entier d’un voile épais et redoublent la nuit. Un tourbillon brise le mât, brise le gouvernail ; la vague qui l’emporte semble fière de ces débris, et comme pour célébrer sa victoire, s’élève au-dessus des autres, puis, tout à coup précipitée, et de son poids et de son choc, enfonce le vaisseau dans l’abîme. Une partie des matelots périssent submergés sous les flots, d’autres s’attachent aux débris du navire ; lui-même, de cette main qui naguère portait un sceptre, Céyx saisit un débris de rame ; il invoque et son père et son beau-père. Prières inutiles ! Mais surtout le nom d’Alcyone est dans sa bouche, et son image est dans son âme. Il voudrait du moins que la mer portât son corps sous les yeux d’Alcyone, et que des mains amies rendissent les derniers devoirs à ses mânes. Si les flots ne couvrent pas sa tête, il prononce le nom d’Alcyone ; il le murmure sous les flots. Tout à coup, au-dessus des vagues qui l’entourent, s’élève en arc une vague immense, qui crève et le submerge. Pendant cette triste nuit, Lucifer obscurcit son disque méconnaissable, et, forcé de demeurer dans les cieux, voila ses feux de nuages épais.
Cependant, ignorant son malheur, la fille d’Éole compte les nuits ; déjà elle apprête les tissus que doit revêtir son époux, ceux dont elle veut se parer elle-même ; elle se berce du vain espoir d’un retour, elle fait fumer l’encens sur l’autel de tous les dieux ; mais c’est surtout au temple de Junon qu’elle va porter ses pieuses offrandes. Elle l’implore pour un époux qui n’est plus ; elle lui demande de le ramener sain et sauf, de faire qu’il lui reste fidèle. Hélas ! ce dernier vœu est le seul qui puisse être accompli ! La déesse ne peut supporter plus longtemps d’être priée pour Céyx, qui n’est plus ; elle veut écarter de son autel ces offrandes funestes. « Va, dit-elle, Iris, fidèle messagère, va, d’une aile rapide, vers la demeure du Sommeil ; ordonne-lui d’envoyer en songe à Alcyone l’image de Céyx, pour lui apprendre le sort de son époux. » Elle dit ; Iris revêt sa tunique aux mille couleurs, fait briller son arc dans les cieux, et dirige son vol vers le palais du roi des Songes.
Il est, dans le pays des Cimmériens, une caverne profonde, creusée dans les flancs d’une montagne : c’est la demeure ignorée du Sommeil. Soit qu’il se lève à l’orient, soit qu’il arrive au milieu de sa carrière, soit qu’il se plonge dans les flots, jamais Phébus n’y lance ses rayons. La terre, à l’entour, exhale de sombres brouillards ; ces lieux ne sont éclairés que par la lueur douteuse d’un éternel crépuscule. Là jamais l’oiseau vigilant à la crête de pourpre n’appela l’Aurore de ses chants ; jamais le chien fidèle, jamais l’oiseau du Capitole, plus fidèle encore, ne troublèrent par leur voix le silence ; jamais, ni le rugissement des bêtes féroces, ni les bêlements des troupeaux, ni le froissement des feuilles agitées par le vent, ni les cris de l’homme, ne s’y firent entendre : c’est l’empire du muet repos. Seulement, du fond de la caverne, un ruisseau plein de l’eau du Léthé coule sur les cailloux retentissants, avec un murmure dont la douceur invite au sommeil ; à l’entrée croît une moisson de pavots et d’herbes assoupissantes ; la Nuit en exprime le suc et le répand sur la terre avec ses ombres. Là, pas de porte qui grince en tournant sur ses gonds ; rien ne défend l’entrée, nul gardien ne veille sur le seuil. Au milieu s’élève un lit d’ébène, rempli d’un épais duvet et couvert d’un noir tissu où le dieu repose ses membres languissants. Autour de lui sont étendus çà et là les Songes aux formes vaines, en nombre égal aux épis que mûrit l’automne, aux feuilles des forêts, aux sables que la mer rejette sur ses rivages.
Iris entre, et de ses mains écarte les Songes qui lui ferment le passage ; la sombre demeure resplendit des feux de sa robe étincelante. Le dieu essaie d’ouvrir ses paupières appesanties ; il se soulève et retombe, et son menton, qui vacille, va frapper sa poitrine ; enfin, il s’arrache à lui-même, et, appuyé sur son coude, demande à la vierge, qu’il a reconnue, le motif qui l’amène. Iris répond : « Sommeil, repos de la nature, ô toi le plus paisible des dieux ! paix de l’âme, remède des soucis ; toi qui viens rafraîchir le corps fatigué des travaux du jour, et renouveler les forces pour les travaux du lendemain, commande aux Songes, qui savent imiter la forme des mortels, de visiter, dans Trachine, Alcyone, sous les traits de son époux ; qu’ils présentent à ses yeux son corps jouet des vagues : c’est l’ordre de Junon. » Iris a rempli son message ; elle se retire. Elle ne pourrait plus longtemps supporter l’épaisse vapeur qui l’entoure ; déjà elle sentait le sommeil se glisser dans ses membres ; elle s’envole et retourne au ciel sur l’arc brillant qui l’amena.
Entre ses mille enfants, le Sommeil choisit Morphée, habile à revêtir la forme des mortels. Nul autre mieux que lui ne saurait imiter et la démarche, et les traits, et la voix, et les vêtements, et jusqu’aux paroles les plus familières de ceux qu’il représente ; mais il ne sait imiter que les hommes. Un autre prend la forme d’une bête féroce, d’un oiseau, d’un serpent aux replis sinueux : les dieux le nomment Icélon, les mortels Phobétor. Un troisième a son emploi différent des deux autres : c’est Phantasos ; il se transforme en terre, en pierre, en onde, en bois ; il imite tous les corps inanimés. Ces trois songes trompent, pendant la nuit, les yeux des chefs et des rois ; d’autres vont visiter la demeure du pauvre. Ceux-ci, le Sommeil les néglige ; il leur préfère Morphée, et le charge d’exécuter les ordres d’Iris ; puis, de nouveau cédant à la douce langueur qui l’accable, il laisse retomber sa tête et s’endort.
Morphée vole, et son aile silencieuse le transporte en un instant, à travers les ténèbres, dans la ville où régna Céyx. Là, il dépose ses ailes et prend la forme de l’époux d’Alcyone. Nu, livide, semblable à un cadavre, il se place devant la couche de l’infortunée. Sa barbe est humide, et l’eau semble dégoutter de ses cheveux ; il se penche sur le lit, et mouillant son visage de larmes, il dit : « Reconnais-tu Céyx, ô malheureuse épouse ? La mort a t-elle bien changé mes traits ? Regarde, et vois au lieu de ton époux l’ombre de ton époux. Ô Alcyone, tes vœux m’ont été inutiles : je ne suis plus ; cesse de te promettre un retour impossible. Au milieu de la mer Égée, l’orageux Auster a battu mon navire et l’a fracassé de son souffle terrible, et ma voix, ma voix qui répétait en vain ton nom, les flots l’ont étouffée. Apprends le malheur de ton époux, non par un messager infidèle, non par des bruits incertains, mais par la bouche de ton époux lui-même qui vient te raconter ses destins. Lève-toi, donne-moi des larmes et revêts des habits de deuil. Ne fais pas que je descende aux abîmes du Tartare sans avoir été pleuré. » Morphée dit, et, pour mieux tromper Alcyone, il a pris la voix de son époux : il semble répandre de véritables larmes, et son geste est celui de Céyx.
Alcyone gémit, elle pleure, étend ses bras dans son sommeil, veut embrasser son époux et n’embrasse que le vide : « Où fuis-tu ? s’écrie-t-elle. Demeure, ou je te suis. » Et, troublée par cette image, par sa propre voix, elle s’éveille. Ses serviteurs, accourus à ses cris, avaient apporté des flambeaux ; elle cherche tout autour d’elle si ce qu’elle vient de voir n’y est plus. L’ombre a disparu. Alors, elle frappe son visage avec ses mains, elle déchire les voiles qui couvrent son sein, elle meurtrit son sein lui-même, elle arrache ses cheveux. Sa nourrice lui demande quelle est cette douleur : « Il n’est plus d’Alcyone, s’écrie-t-elle : Céyx est mort, et Alcyone avec lui ; gardez vos consolations, Céyx est mort dans un naufrage ; je l’ai vu, je l’ai reconnu ; il fuyait, j’ai tendu mes mains vers lui pour le retenir : c’était une ombre, mais une ombre réelle, l’ombre de mon époux. Ses traits ne brillaient pas de leur éclat accoutumé ; mais pâle, nu, les cheveux humides, je l’ai vu, malheureuse que je suis ! à cette même place ; (et elle cherche s’il a laissé quelque vestige.) Ah ! c’était là, c’était bien ce que prévoyait mon âme, lorsque je te suppliais de ne pas fuir ton Alcyone, de ne pas te confier aux vents. Puisque tu allais à la mort, pourquoi ne m’as-tu pas emmenée avec toi ? Je devais, oui, je devais te suivre. Ainsi, il n’y aurait pas eu une heure de ma vie que je n’eusse passée avec toi, et nous ne serions pas morts séparés l’un de l’autre. Maintenant, loin de toi, je suis morte avec toi ; absente, les flots se jouent de mon cadavre et l’onde m’engloutit sans me posséder. Ah ! que mon âme soit plus cruelle encore que la mort, si je cherche à prolonger ma vie, si j’essaie de survivre à une telle douleur. Non, je n’y survivrai pas : non, je ne t’abandonnerai pas, cher et malheureux époux. Maintenant du moins je vais te suivre, et, dans notre commun tombeau, si nos urnes, si nos cendres ne se mêlent pas, que nos deux noms se touchent. » La douleur ne lui permet pas d’en dire davantage ; chacune de ses paroles est étouffée par un sanglot, et sa poitrine oppressée laisse échapper des gémissements.
L’aurore a paru : Alcyone quitte son palais et se rend au rivage ; elle va visiter ces lieux, témoins du départ de Céyx. « Là, dit-elle, il s’arrêta, et tandis qu’on levait l’ancre, prêt à partir, il me donna sur ce rivage ses derniers baisers. » Ces lieux lui rappellent ces tristes souvenirs ; elle regarde au loin la mer, et, tout à coup, sur la plaine liquide, elle croit apercevoir comme un corps humain. Elle ne peut d’abord le distinguer ; mais bientôt le flot s’avance, et malgré l’éloignement, Alcyone peut reconnaître un cadavre. Elle ne sait quel est ce corps, mais c’est celui d’un naufragé, et ce présage la trouble : elle lui donne des larmes sans le connaître. « Ah ! malheureux, dit-elle, qui que tu sois, malheureuse est ton épouse, si tu en as une. » Poussé par les ondes, le corps s’approche, et plus elle le regarde, plus elle se sent troublée. Déjà le cadavre touche la terre ; elle peut le reconnaître : c’est celui de son époux : « C’est lui ! » s’écrie-t-elle ; et elle déchire son visage, ses cheveux, ses vêtements, et, tendant ses mains tremblantes vers Céyx : « C’est donc ainsi, cher époux, que tu devais m’être rendu ! » Au bord des eaux s’élève une digue construite par la main des hommes, pour briser la fureur des flots et fatiguer leurs efforts. Ô prodige ! elle y monte, ou plutôt elle y vole, et, d’une aile qui vient de naître, frappe l’air et rase les ondes. Elle vole, et de son bec effilé sort un cri semblable aux cris de la douleur. Elle s’abat sur le corps froid et inanimé de Céyx ; elle embrasse de ses ailes ces membres chéris et de son bec leur donne de vains baisers. Ont-ils ranimé Céyx ou la vague a-t-elle imprimé ce mouvement à sa tête ? on en doute. Mais non, Céyx a senti ces baisers. Les dieux, enfin touchés de ses malheurs, ont métamorphosé les deux époux en oiseaux ; leurs nouveaux destins n’ont pas changé leur amour : oiseaux, ils sont encore époux ; ils s’unissent, ils se reproduisent ; et, pendant sept jours d’hiver, Alcyone couve ses petits dans son nid suspendu sur les vagues ; alors l’onde est paisible, les vents sont contenus dans leurs prisons profondes, et, en faveur de ses enfants, Éole assure la tranquillité des mers.

Commentaires


bottom of page